Sommaire
Mise à jour n°4 (17 mars 2020)
Vous doutiez de mon raisonnement ? Regardez plutôt cette courbe de l’action d’Uber :
Comme je l’avais annoncé, les cours vont monter et baisser régulièrement, mais plutôt globalement baisser. Là on en est à une valorisation inférieure à 50% à celle de la mise en bourse. Si vous aviez investi 10 000 euros, il ne vous en resterais que 5 000.
Depuis la dernière mise à jour de cet article (en 2019), le fondateur d’Uber, Travis Kalanick, en investisseur avisé, a régulièrement vendu ses parts (source : https://www.forbes.fr/finance/uber-pourquoi-le-fondateur-cede-t-il-ses-actions/?cn-reloaded=1). Le signe qu’il ne croit plus, lui non plus, aux chances de l’entreprise qu’il a créé ?
Mise à jour n°3 (17 mai 2019)
Si vous avez suivi mes conseils des mises à jour 1 et 2, votre capital investi aura augmenté d’environ 15% en une semaine. Investissement à la baisse le jour du lancement de l’action, investissement à la hausse dès lundi.
Ce scénario était assez prévisible, comme la suite l’est tout autant : c’est maintenant l’imprévisibilité qui va caractériser la valeur boursière de cette action, qui pourra peut-être monter un peu au-dessus du cours de lancement, puis redescendre, chuter, remonter brutalement, etc… au gré des mouvements spéculatifs des “gros” investisseurs et des nouvelles financières et commerciales de la société. Jusqu’au jour où tout le monde partagera la certitude que le modèle économique initial d’Uber n’est finalement pas viable. Confrontées à la réalité du terrain, les promesses théoriques n’ont pas tenu la route : c’est tout l’objet de cet article écrit en 2016.
Mise à jour n°2 (12 mai 2019)
La mise à jour de cet article, rédigé il y a quelques semaines, annonçait clairement ce qui vient d’arriver : l’entrée en bourse d’Uber le vendredi 10 mai 2019 s’est faite à une valorisation inférieure à 30% de celle estimée hors cotation (valeur des investissements), et dans les heures qui ont suivi, le cours a subit une chute de plus de 7%.
La mise en bourse ayant eu lieu vendredi, je présume que le soutien des principaux investisseurs ayant déjà des parts dans Uber n’a pas encore pu se mettre en place. Ce soutien va probablement arriver dans les jours à venir. Le cours va alors remonter provisoirement (si vous voulez faire un investissement à court terme, c’est à mon avis le moment : le cours va probablement reprendre au moins 5% dans les 15 jours).
Sur la séance, le titre d’Uber a perdu 7,6% de sa valeur, occasionnant par la même une perte de 655 millions de dollars (580 millions d’euros) pour les investisseurs. Il s’agit de la plus grosse perte en dollars au premier jour de l’introduction d’un titre en Bourse dans l’histoire des Etats-Unis, selon Jay Ritter, professeur à l’Université de Floride.
Business Insider
La suite ? Les “petits” actionnaires vont progressivement devenir les plus gros propriétaires de ces actions, et à la prochaine nouvelle alarmante, cela va être la débandade. Et cette fois-ci les premiers investisseurs, qui auront récupérés leur investissement, vont bien se garder de soutenir le cours de l’action.
Mise à jour n°1 (16 avril 2019)
J’ai écrit cet article en décembre 2019 alors que cette société était en plein “boom”. En effet, en tant qu’utilisateur régulier du service Uber, et discutant quasi systématiquement avec les chauffeurs, j’ai senti en quelques mois un énorme changement dans le comportement de ces derniers – qui sont passés de super enthousiastes à ultra remontés. Aujourd’hui, de ce point de vue, ça s’est calmé en France, notamment en raison de l’intervention du législateur qui a littéralement sorti du marché des milliers de chauffeurs indépendants et laissé à ceux qui sont restés plus de clients.
Mais entre temps (et la liste est loin d’être exhaustive) :
- Travis Kalanick, son fondateur, s’est fait éjecter de la boîte. Une culture d’harcèlement sur les femmes semble avoir été l’occasion de remplacer un dirigeant qui semble avoir commencé à faire peur aux investisseurs.
- Uber a été sorti de plusieurs marchés vitaux en Asie, dont la Chine, en raison d’une concurrence trop forte. Voici ce que la société dit à ce propos dans son document d’informations pour préparer sa mise en bourse : “Our ridesharing category position generally declined in 2018 in the substantial majority of the regions in which we operate impacted in part by heavy subsidies and discounts by our competitors in various markets”.
- La législation s’est durcie partout dans le monde, avec pour conséquences une diminution de ses parts de marché, voire même une interdiction d’exercer (Turquie, Bulgarie, etc.) ou avec des restrictions tellement fortes qu’il est quasi impossible de continuer d’y travailler (Hongrie, Danemark, Allemagne, Espagne, etc.)
- La concurrence classique, les taxis, s’est ressaisie après le vent de panique du début. En France par exemple, les taxis G7 ont fait évoluer leur service pour le mettre à niveau de celui d’Uber…en moins cher car les prix sont fixes et pas fonction de la disponibilité des conducteurs de VTC (si vous allez à l’aéroport à partir du centre de Paris, vous savez de quoi je parle).
- Le “Joker” de la société, la voiture sans chauffeur, est devenu son talon d’Achille, avec un procès contre la maison mère de Google pour vols de données : probablement cela se terminera par un accord secret entre les deux sociétés (Alphabet inc. étant aussi actionnaire d’Uber…), qui va empêcher Uber d’être autonome sur ce marché (et donc l’obliger à partager ses revenus).
- Uber s’est lancé, entre autres, dans la location de trottinettes… Quoi, ça ne vous fait pas rêver ?
Evidemment, quand je dis “n’existera plus”, c’est exactement comme pour Nokia dans les téléphones ou MySpace comme réseau social : la marque sera encore là, mais ne sera plus que l’ombre d’elle-même par rapport à ses ambitions financières du début.
Je rappelle que la société a encore perdu plusieurs milliards de dollars en 2018, et n’a jamais été rentable depuis sa création en 2009.
Mais, vous allez me dire, Uber va entrer en bourse, ce qui va la valoriser à environ 100 milliards de dollars (voir par exemple cet article) ! Vous voulez mon avis (de non boursicoteur) ? La vente de ces actions est probablement menée par les gros actionnaires de référence, qui sont en train d’essayer de récupérer progressivement une partie de leur investissement en revendant leurs parts au prix fort à des petits investisseurs qui croient encore au mirage de l’économie de l’Uberisation. Ils vont procéder par étape, soutenir le cours au maximum, jusqu’au jour où ils lâcheront la société – et le cours de son action va alors s’effondrer. Ce qui pourrait arriver dès les premiers jours s’ils n’interviennent pas tout de suite.
Article rédigé en 2016
Si vous êtes un investisseur dans les nouvelles technologies, j’aurais un seul conseil à vous fournir aujourd’hui : n’investissez pas dans les entreprises qui reprennent le modèle Uber – dont la croissance extraordinaire ne repose que sur la faculté de leurs créateurs à avoir exploité avant tout le monde, avec talent et à leur seul profit, l’évolution de la relation travailleur-consommateur au dépend de l’employeur intermédiaire. Leur erreur : alors que leur utilité repose sur leur faculté à mettre en relation directe les travailleurs indépendants avec les consommateurs, elles conservent une mentalité d’employeur au lieu d’agir comme prestataire de services pour les travailleurs indépendants.
Mon argumentation – que je vais détailler un peu plus loin – repose sur des mécanismes économiques connus, enseignés dans toutes les universités et grandes écoles du monde depuis des années – autant dire qu’elle n’a rien de révolutionnaire.
Je ne vais pas parler des pertes énormes d’Uber en 2015 (plus d’1 milliard de dollars) : si la rentabilité est prévue dans xx années, il n’est pas incohérent d’investir à perte durant toute cette période. Quand on croit dans un projet, il est normal de tout faire pour le porter au plus haut possible.
Je ne vais pas non plus aborder la question, très discutée ces derniers temps, pour savoir si “l’ubérisation” de la société – qui définit un écosystème où chaque particulier devient susceptible d’offrir un service contre rémunération à d’autres particuliers – est une bonne chose (création d’emplois, adaptation aux besoins des consommateurs, développement de l’esprit d’entreprise, etc.) ou une mauvaise chose (situation précaire de ces nouveaux travailleurs, flexibilité maximale à leur dépend, maxi-bénéfices au profit d’une poignée de sociétés qui visent clairement le monopole, etc.). Finalement chacun finit toujours par se positionner en fonction de ses convictions politiques et il ne peut pas y avoir une réponse objective définitive pour déterminer si “l’ubérisation” de la société est une avancée sociale ou non.
La double faiblesse qui va être fatale à Uber et qui va conduire à sa fin prochaine – et à toutes les sociétés qui suivent son modèle – est la suivante : sa technologie est trop facilement reproductible, avec au bout du compte des barrières faibles à l’entrée pour de nouveaux concurrents, et il va lui être impossible de trouver un équilibre sur le moyen/long terme entre les offres de travail pour les chauffeurs “Ubers”, leur juste rémunération et la demande des clients.
Comme l’objectif de cet article n’est pas de faire une thèse en économie, je vais me limiter à étayer succinctement ces deux arguments.
Barrière faible à l’entrée = prix comme seule variable = baisse continuelle de la rémunération des chauffeurs VTC
Je fais appel à un principe économique simple, largement démontré, pour étudier les agents économiques dans un environnement concurrentiel : si votre service est facilement reproductible d’un point de vue technique, vous êtes vulnérable. L’application Uber est assez facile à reproduire, pour un coût relativement peu élevé (quelques centaines de milliers d’euros). Sa survie dépend donc d’une seule chose : empêcher les concurrents d’exister. Car si une concurrence se forme sur le même modèle, leur seule défense sera de jouer sur les prix – c’est déjà ce qui se passe dans la plupart des pays – dont la France – où Uber a dû baisser ses tarifs – baisse pour l’instant largement supportée par les chauffeurs.
Mais maintenant imaginons qu’un petit malin propose une application très bien conçue, avec un marketing efficace, et qui ne prendrait non plus un pourcentage sur les courses, mais proposerait aux chauffeurs de payer un abonnement. Elle ne coûterait que 50 euros/mois par exemple aux chauffeurs au lieu des 20% de commission. Tout le monde y gagnerait : les chauffeurs qui pourraient augmenter leur marge, la société informatique qui gagnerait 500 000 euros/mois sur une base de 10 000 clients chauffeurs, les clients qui pourraient bénéficier de courses moins élevées. Uber n’aurait aucun moyen de lutter contre une telle offre – qui fatalement va finir par arriver. Et alors bye-bye Uber : même avec le meilleur marketing du monde, ils ne parviendront plus à convaincre un seul chauffeur de travailler pour eux – et vous allez comprendre pourquoi avec l’argument n°2. Et sans chauffeur, l’offre Uber devient obsolète. Ce scénario précipitera la fin de cette société en quelques mois seulement.
Modèle reposant sur la loi de l’offre et de la demande pure s’opposant à un environnement social protecteur
J’utilise très souvent Uber depuis deux ans, et je peux vous dire qu’il y a eu une évolution incroyable dans l’état d’esprit des chauffeurs VTC durant cette courte période. Il y a un monde entre l’enthousiasme du début et la grogne actuelle des chauffeurs qui se retrouvent en surnombre à certains moments de la journée pour des courses avec des prix faibles (UberPool permettant de faire des tarifs à la UberPop – une course qui me coûtait autrefois plus de 20 euros en taxi ne dépasse pas les 10 euros aujourd’hui). Je parle souvent avec ces chauffeurs et presque tous me disent la même chose : ce n’est pas viable de travailler avec Uber sur le long terme – ils se sont endettés et à présent ils doivent accepter de faire moins de courses (car il commence à y avoir trop de chauffeurs VTC sur le marché à Paris) pour des tarifs plus faibles. Et c’est logique : “l’ubérisation” de l’économie fonctionne sur le postulat néoclassique d’un marché du travail parfait “hors-sol”, alors même qu’il y a des centaines de facteurs qui viennent troubler ce postulat – comme les taxes, les revenus minimaux, la situation globale de l’emploi, etc. Donc un chauffeur indépendant ne peut pas accepter indéfiniment une baisse de ses revenus sur la base de “plus c’est accessible, plus il y aura de demandes, et plus y aura de demandes, plus les tarifs vont augmenter” (loi de la concurrence parfaite), tout simplement parce qu’il vit dans un environnement économique complexe avec une concurrence réajustée par l’État à de multiples niveaux et parce qu’il y a un chômage de masse structurel largement en défaveur des chauffeurs VTC.
Conclusion
Au final la seule variable concurrentielle actuelle de cette économie est le prix payé à sa main-d’oeuvre – les chauffeurs VTC – main-d’oeuvre sensée être indépendante et avoir un “esprit d’entreprise”. Or un chef d’entreprise ne se lève pour travailler que s’il espère un gain supérieur (en argent, en temps ou en liberté) à un travail salarié sans risque. En moins de trois ans les mécanismes de l’absence de barrière à l’entrée et l’équilibre impossible de ce marché ont fait basculer l’intérêt de l’entrepreneur indépendant chauffeur VTC de très positif à négatif. Il partira dès qu’il trouvera un meilleur système de rémunération.
Uber l’a bien compris, et c’est pourquoi ils se sont lancés dans la course à la voiture autonome (appelée aussi voiture sans conducteur). Sur ceci je ne me prononcerai pas : les spécialistes estiment qu’il faudra attendre 2025 pour que les voitures sans chauffeur puissent être autorisées à circuler sur toutes les routes. Ce serait probablement la seule chance de survie d’Uber. Je ne pense pas qu’elle tienne financièrement jusque là – sauf si les investisseurs acceptent de prendre encore 10 ans de risques et aient la capacité de réinjecter régulièrement des sommes énormes. Pourquoi pas, mais ce serait une première dans l’économie du numérique.
Pour conclure cette prophétie à rebours de l’euphorie financière actuelle sur les sociétés informatiques s’emparant de ce modèle économique, je fais la prédiction que “l’ubérisation” de la société trouvera sa véritable éclosion à travers le logiciel/service open-source (on ne parlera alors plus “d’ubérisation”). Ce serait un paradoxe apparent, mais en fin de compte assez logique (et déjà en application dans plusieurs domaines comme l’informatique) : tout d’abord parce que l’univers des professionnels indépendants est plus proche de l’état d’esprit libertaire (être libre de son temps, ne pas avoir de patron) qui anime l’univers de l’open-source que de l’univers libéral (concurrence libre) qui est celui des sociétés qui font travailler les indépendants, et ensuite parce qu’il semble logique que de particulier à particulier le principe de suppression de l’intermédiaire devienne la règle. Il est probable qu’émergera un jour un moteur informatique open-source global pour organiser tous les différents services entre particuliers. Ce n’est qu’une question de temps à mon avis. Et aussi une question de justice : les profits réalisés dans les différents pays n’échapperont plus de manière massive aux impôts nationaux et la richesse créée profitera entièrement à l’économie locale. L’Europe serait bien avisée d’initier un tel projet plutôt que de soutenir un improbable concurrent de Google par exemple (mais ça c’est une autre histoire).
Au bout du compte, Uber et toutes les sociétés qui suivent ce modèle économique resteront dans l’histoire comme les sociétés qui ont accéléré de manière utile et malgré elles un mouvement de réorganisation du travail et de l’économie autour de l’humain – alors même qu’elles sont l’aboutissement d’une logique suicidaire visant à s’en séparer. Une sorte de retour à la cellule individuelle du travailleur-consommateur qui était la règle avant l’ère industrielle.
Je vous donne rendez-vous dans 3 ans maximum pour vérifier cette prédiction. D’ici là, n’hésitez pas à donner votre avis – surtout si vous êtes un chauffeur VTC ou si vous êtes vous-même acteur de cette nouvelle économie !
Christophe